Courir après le temps

Ah, qu’il est doux de ne rien faire…

À peine arrivé à la gare de Paris-Montparnasse, le passager qui me faisait face se leva en toute hâte puis se rhabilla tout aussi vite. Il empoigna rapidement sa valise posée sur le porte-bagages et, se tournant vivement vers moi, me souhaita brièvement une bonne journée. Je lui répondis poliment. Pendant tout ce temps, je n’avais pas bougé. À quoi bon me servait de courir ou de me précipiter ?

Déjà bien avant l’annonce de la fin de notre voyage, de nombreux passagers se pressaient dans le couloir, alors que c’était vraiment inutile.

Quel plaisir pouvait-on trouver dans l’inconfort d’une station debout dans un train en mouvement et une promiscuité certaine ?

L’être humain est un animal surprenant. Il croit gagner du temps en courant contre la montre. Pourquoi court-il d’ailleurs ? Dans la nature, ceux qui courent sont soit les proies pour échapper à la mort, soit les prédateurs prêts à fondre sur leurs victimes. Mon frère, qui avait travaillé au Tchad, me rapporta que les autochtones disaient que : « Tout ce qui court se mange. » Ils voyaient sans doute dans la fuite, celle du gibier que le chasseur poursuit pour se nourrir. Fortes de ce constat, lorsque rien ne les y obligeait, ces populations locales s’abstenaient de toute précipitation inutile.

On se moque parfois de la nonchalance des Africains. Est-ce vraiment de la nonchalance ? Notre mode de vie occidental prêche la vitesse, l’émulation par les défis permanents et l’accomplissement matériel. Il est inscrit dans les gênes de nombre de nos contemporains que : « Le temps, c’est de l’argent. » Gaspiller ce temps à ne rien faire, perdre son temps est contre-productif.

Dans la société de l’avoir et du paraître, le temps doit être investi utilement.  Ne rien faire s’est se mettre en marge. Le temps est une notion intéressante. L’homme n’a eu de cesse de le compter comme de le mesurer. Or, le temps est une notion qui nous échappe. L’homme ne peut maîtriser le temps. Le temps lui file entre les doigts comme du sable. On ne peut ni le stocker, ni le dompter, ni l’arrêter. Le temps vit son temps ; il a sa propre course contre laquelle on ne peut rien.

Pourquoi voit-on alors autant de gens courir dans nos métropoles congestionnées ? Le paysan qui vivait de sa terre travaillait au rythme des saisons. Il avait son propre temps, un temps biologique avec le cycle solaire pour l’activité et lunaire pour le repos. L’hiver était propice à un ralentissement du travail ; l’été à une suractivité. La civilisation des loisirs a fait de l’été une période de vacances et l’hiver celle du labeur. Nous allons à l’encontre de la nature, c’est-à-dire de notre propre nature. L’économie a modifié notre perception du temps et la nature est devenue un sujet de débat écologique.

J’aimerai pourtant faire l’éloge de la lenteur. La lenteur n’est pas la paresse. La paresse a été classée par l’Église catholique parmi les 7 péchés capitaux. Le paresseux est celui qui ne travaille pas ; c’est l’indolent qui passe son temps à ne rien faire, à rêver alors que tous s’agitent autour de lui. La lenteur, c’est ne pas suivre le même rythme que les autres. Le lent prend le temps. Il se peut qu’il soit malhabile et préfère avancer prudemment. À moins qu’il ne soit perfectionniste et considère que le temps n’a guère d’importance.

Toujours est-il que la lenteur peut être une qualité. Elle permet d’observer et d’étudier avant d’agir. Elle évitera les erreurs. Elle incite à une plus grande concentration et à une vigilance accrue. Si la non-action est une action, la lenteur est un mode de travail.

« Vitesse n’est pas précipitation », me rappelait mon premier Maitre d’armes, Jacques Castanet. Rien ne se construit de durable sans une nécessaire réflexion. Lorsque nous sommes assaillis de multiples informations, nous devons apprendre à prioriser nos actions.

Nous serons toujours les voyageurs du temps. Il faut garder à l’esprit que ce n’est pas le temps qui passe, mais nous qui passons dans le temps.  Savoir gérer son temps ne signifie nullement courir après des illusions ; ces illusions que sont la recherche d’un bonheur factice ou la réussite rapide dans la vie.  Il appartient à chacun de trouver son temps personnel, ce temps intérieur que nous approchons par la méditation notamment.

Le temps est du domaine de l’infini, la vie humaine est, quant à elle, limitée, bornée ; elle s’inscrit dans la finitude d’un maillon d’une chaîne insignifiante à l’échelle de l’Univers.

En cherchant à dominer le temps par une course perdue d’avance, l’être humain ne fait qu’échapper à sa peur, celle de sa propre fin. Sinon pourquoi courait-il ?