À créer un autre monde

« Il n’y a pour l’homme que trois événements : naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre. », écrivait Jean de La Bruyère dans les Caractères (1696).

Avons-nous oublié de vivre, alors que d’autres souffrent à mourir ?

Dans nos cellules, au sens d’espace de confinement monacal, nous prenons la mesure du temps. Pour les uns, ce temps passera vite ; pour d’autres, il durera une éternité. Et, si ce temps hors du temps, nous demandait de nous poser ou de pauser. En nous posant, nous prenons conscience de notre enracinement sur cette Terre, du sens de nos vies.

L’éveil

Avions-nous à ce point fait l’impasse sur la profondeur du silence, qui n’en est pas un, dans nos villes polluées par le bruit et l’agitation ? Écouter le chant des oiseaux, observer le ciel et la course des nuages n’est-ce pas ce moment de sérénité dont nous avions besoin ?

Nous avions pris l’habitude de courir pour aller travailler, ne pas rater un train ou un bus, arriver à l’heure à un rendez-vous, terminer une tâche dans les délais impartis. Certes, une partie de la population vit dans l’urgence pour sauver l’autre partie encore confinée. On applaudit d’un côté afin de soutenir le personnel soignant et, d’un autre, on envoie des courriers anonymes à ces mêmes soignants pour les prier de déménager craignant d’être contaminés à leur contact. Nous nous réfugions dans cette vie spectacle dans laquelle on fait montre d’ostentation, tout en se dissimulant lâchement pour rejeter notre prochain.

Est-ce le monde que j’ai envie de voir demain ?

Si je n’applaudis pas à 20h, suis-je indifférent au sacrifice du personnel hospitalier ? Si je fais du bruit pour leur afficher mon soutien en ne respectant pas les règles du confinement, ne suis-je pas un hypocrite ?

« Si l’oubli est une grâce » pour Simone de Beauvoir. Elle ne pensait pas à l’oubli coupable de nos erreurs passées pour reproduire le même schéma destructeur de nos vies suicidaires. Sans imiter les vaticineurs apocalyptiques ni les pseudos exégètes de Nostradamus, nous devons comprendre le message que nous adresse l’épreuve que nous subissons sans distinction d’âge ni de fortune. Notre Terre en a assez ! Nous nous précipitons dans une ruée consumériste que les industriels instillent dans nos cerveaux avides de nouveautés et de progrès. Nous encensons la technologie tout en exigeant d’elle toujours plus de confort.

Quel sera le confort de la 5G, alibi grotesque et financier pour éviter d’investir plus lourdement dans la fibre, quand vous agoniserez sur votre lit de mort ?

Quelle importance de charger un film 4 fois plus vite sur votre téléphone lorsque vous ne savez plus ce que signifie le sens du mot partage avec vos semblables ?

Alors, oui, je rêve d’un autre Monde, moins technologique, moins égoïste, plus responsable et humain ; un Monde où chacun pourrait rester sur sa terre sans en être chassé par les guerres, l’appropriation des ressources naturelles, la famine et les bouleversements climatiques ; un Monde où chacun pourrait vivre décemment là où il aurait choisi de vivre ; un Monde plus juste, où les richesses seraient réparties plus équitablement ; un Monde plus solidaire.

J’ai fait un rêve…