Ou vie encore confinée

Euphorie est un mot d’origine grecque (εὐφορία ; de εὖ : « bien », et φέρω, pherō : « à supporter »). On l’associe au sentiment de bien-être, d’exaltation, d’excitation. L’euphorie de la victoire pousse à des débordements, dus à la montée de l’adrénaline. L’euphorie de la réussite crée un sentiment de plénitude. L’euphorie du déconfinement annoncé génère une menace.

Libre comme l’air

L’euphorie provoque une baisse des inhibitions et peut faire perdre tout contrôle. On se croit alors invincible, à tort. Oubliant toute logique, on baisse la garde et, au moment où l’on s’y attend le moins, le coup fatal vous abat.

Lorsqu’il évoquait la chute du communisme à l’Est, Milos Forman avait parlé de jungle et de zoo. En supprimant les barreaux du Rideau de Fer et par là même ses gardiens, les peuples libérés de leur confinement pouvaient laisser libre court à leurs instincts dans une parfaite euphorie. Leur liberté était peut-être un leurre. N’étaient-ils pas encore prisonniers dans leur tête ?

Sommes-nous réellement libres de nos actes ?

La liberté de l’un s’arrête là où commence la liberté de l’autre. La liberté ne peut donc être totale, mais respectueuse. La vie en société nous impose des règles. Même en vivant comme un Robinson, notre liberté n’est pas pleine et entière. Nous devrons nous accommoder des Lois de la Nature au risque d’être détruit par elle.

Comme l’euphorie, la liberté est bien une sensation de n’avoir ni chaînes ni attaches, de pouvoir s’accomplir sans contraintes, d’aller et de venir sans entraves et de penser ou de s’exprimer sans censure. Pourtant, chaînes, attaches, contraintes, entraves ou censure peuvent être inhérentes à nous-mêmes. Notre éducation, notre famille, les us et coutumes régionaux, la religion, le cadre social ou celui du travail créent un ensemble de croyances limitantes. Ce qui est inscrit dans nos gènes comme notre instinct lié à notre cerveau reptilien participe à des blocages, parfois nécessaires. L’acquis viendra renforcer cet inné en ajoutant de nouvelles barrières.

Si ces limites sont acceptées, tolérées, dans la mesure où elles n’affectent pas notre sentiment de liberté, elles ne nous empêcheront pas de nous épanouir en faisant grandir notre être. C’est par l’être que l’Homme se construit ; l’avoir n’est qu’un substitut du pouvoir et le paraître une enveloppe sociale qui ne résistera pas à la pierre de touche de la vérité que l’on cache.

Le 11 mai 2020 n’est qu’une date, une borne amovible. Il serait dangereux de se laisser abuser par l’euphorie suscitée par cette échéance provisoire pour s’imaginer libéré. Aujourd’hui, il est regrettable que, bercés par cette illusion, certains de nos contemporains s’estiment d’ores et déjà hors de danger, renouant avec les errements du passé.

L’intelligence collective devrait nous amener à repenser notre modèle social et économique. Afin de réaliser des gains de productivité ou répondre aux exigences européennes de déficit maitrisé, nos gouvernements successifs ont notamment saccagé le service public de la santé, de l’éducation et de la sécurité, alors que des économies auraient pu être faites ailleurs et des investissements nécessaires réalisés dans des secteurs vitaux ou stratégiques.

Alors, ne nous y trompons pas. La question ne se limite pas à la France. Le Monde dans son ensemble est concerné. Le défi est majeur.