Ou quand Sénat et Assemblée Nationale s’emmêlent

Je ne lâcherai pas ta main

Il est inévitable que toute crise cache en son sein son lot de scandales à étouffer et de règlements de comptes à venir. L’épisode du Coronavirus n’y échappera pas. Néanmoins, les dés étant pipés dans le jeu politique, il est à craindre que les responsables, si leur tort était avéré, ne soient déclarés non-coupables. Cela nous ramène à l’affaire du sang contaminé des années 80. L’ayant vécue, je vous livre un extrait de ma réflexion dans un essai écrit après le décès de ma mère, transfusée en 1984 et infectée par l’hépatite C, alors que tout le monde ne parlait que du HIV :

« Le SIDA ! Rien que d’évoquer ce nom faisait froid dans le dos. Nous ne pouvions ignorer que, si l’affaire du sang contaminé suscitait autant de passions, c’est que des malades transfusés avaient été infectés par le virus HIV ; un virus mortel. Les familles de victimes cherchaient à impliquer les responsables, au premier rang desquels les responsables médicaux. Mais pas seulement. Certains voulaient étendre cette responsabilité aux politiques d’alors, M. Laurent Fabius, Premier Ministre, M. Edmond Hervé, Ministre de la Santé, et Mme Georgina Dufoix, Ministre des Affaires Sociales. Il leur était reproché d’avoir fait preuve d’un manque de vigilance si ce n’est d’inertie en refusant notamment d’utiliser un test américain pour analyser les produits sanguins. »

Ma mère avait été diagnostiquée porteuse du virus de l’hépatite C lors d’une hospitalisation de routine au milieu des années 90, alors que, 5 ans auparavant, la Sécurité Sociale, lui avait demandé d’effectuer un dépistage du seul HIV. À ce jour, aucun des trois responsables politiques n’a été réellement inquiété ; le premier d’entre eux ayant continué à bénéficier de la confiance et des largesses de ses pairs.

Si je relate ce drame familial qui a bouleversé notre vie, c’est que l’histoire se répète. Le 6 mai, l’Assemblée Nationale retoquait un amendement du Sénat s’inspirant de la Loi Fauchon, concernant la responsabilité pénale des élus. Cet amendement renforçait la protection des décideurs publics, et notamment des maires faisant face à la réouverture des écoles dans leurs communes. Majoritairement Républicain, les sénateurs semblaient soucieux d’encadrer la responsabilité de leurs électeurs. Lors de l’examen du projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, les députés ont donc précisé que la responsabilité des décideurs publics devait être appréciée, “en cas de catastrophe sanitaire”, selon “ l’état des connaissances scientifiques au moment des faits”. En s’abritant derrière cet argument, n’était-ce pas une manière d’amender également les membres du gouvernement de leurs propres responsabilités ?

Le premier ministre ne semblait pas favorable à une atténuation de responsabilité et préférerait le statu quo. Qu’en est-il de l’appréciation à l’aune de « l’état des connaissances scientifiques à l’époque des faits » ? Ces connaissances ont évolué dans le temps, selon le propre aveu du gouvernement. La responsabilité en matière médicale est l’une des plus dures à prouver.

Lorsque ma mère a été victime d’un choc septique dû à une infection nosocomiale, la procédure d’enquête a duré plus d’un an. La faute de l’hôpital ayant été reconnue, nous avions la possibilité d’intenter un procès, Nous nous sommes contentés de la compensation financière, ester en justice n’aurait servi qu’à prolonger un processus coûteux à l’issue incertaine. Pour le principe, il nous semblait important que notre parole fût entendue et que des mesures soient enfin prises afin d’éviter une telle contamination.

Il est néanmoins regrettable que les personnalités politiques, ayant admis leur responsabilité, n’aient pas été poursuivies.

En revenant à cette navette entre les deux Chambres et les tribulations d’un amendement contesté, cela me rappelle la morale de la fable de l’Ours et de l’amateur des jardins de Jean de La Fontaine :

« Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ;

Mieux vaudrait un sage ennemi. »

En s’emmêlant ou en s’en mêlant, Sénat et Assemblée Nationale n’auraient-ils pas mis incidemment en danger le gouvernement ? Certains penseront que nos dirigeants cherchent à se dédouaner ou à s’auto-amnistier afin d’échapper au bras de la justice. D’autres parleront d’une simple maladresse électoraliste. La vérité est peut-être ailleurs.

Confinement ou pas, il est désolant d’assister à la déliquescence de nos institutions législatives, grevées tant par l’absentéisme de nos parlementaires que l’indifférence ou l’insouciance de quelques élus présents dans l’hémicycle, y compris dans les rangs des représentants du gouvernement.

Cela participe à la caricature de notre démocratie, si bien dialoguée par Michel Audiard lors de la célèbre scène du discours de Jean Gabin au Palais Bourbon dans le film de Henri Verneuil « Le Président ». Elle n’est pas si loin la République des coquins et des copains.