Perdre la face ou la tête

En perdant la face, c’est de sa superbe qu’on abandonne, humilié et couvert de honte. La littérature regorge d’exemples. Étudions le duel d’abord verbal opposant le Vicomte de Valvert à Cyrano, dans la pièce d’Edmond Rostand (Scène IV).

Le Vicomte

Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits !…
(Il s’avance vers Cyrano qui l’observe, et se campant devant lui d’un air fat.)
Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand.

Mieux vaut parfois se taire que de provoquer un adversaire plus adroit que soi. À se croire au-dessus des autres, on n’est jamais invulnérable. Tout le monde connaît la célèbre tirade du nez. Et sans prendre de gant, on peut se retrouver bien contrit.

Le vicomte, suffoqué.

Ces grands airs arrogants !
Un hobereau qui… qui… n’a même pas de gants !
Et qui sort sans rubans, sans bouffettes, sans ganses !

(…)

Cyrano qui a moralement ses élégances.

Je n’ai pas de gants ?… La belle affaire !
Il m’en restait un seul… d’une très vieille paire !
– Lequel m’était d’ailleurs encor fort importun :
Je l’ai laissé dans la figure de quelqu’un.

Le vicomte.

Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule ! 

Cyrano, ôtant son chapeau et saluant comme si le vicomte venait de se présenter.

Ah ?… Et moi, Cyrano-Savinien-Hercule
De Bergerac. 

Du verbal à la leçon d’escrime, le Vicomte mangera le fer à la fin de l’envoi qui le touche.

Pourquoi ce rappel ?

Pour ne pas perdre la face, on doit éviter de s’engager à tort et à travers. Jouer les bravaches, ce n’est pas être courageux. Le courage demande de l’intelligence, pas de la vanité. À vouloir faire l’intéressant pour briller ou séduire, on peut perdre la face. L’expression serait originaire de Chine ou la face est associée au statut social. En perdant la face, on met sa situation en péril et, dans le cas d’un Vicomte arrogant, la vie.

L’humilité nous recommande de prendre une position basse. S’improviser héros est inutile et dangereux lorsqu’on n’en a pas l’étoffe. En tant que consultant, on doit faire preuve d’écoute et de compréhension afin d’accompagner le client. Celui qui privilégie des méthodes à l’emporte-pièce sans considérer les attentes, les besoins ou la culture de la personne lui faisant en face s’engagera sur une fausse route. Attention à la sortie de piste ! Mieux vaut renoncer à ce qu’on sait ou que l’on croit savoir, il est toujours nécessaire de s’adapter.

Pour ne pas perdre la face, certains useront du sarcasme voire de l’injure, faute de pouvoir argumenter ou de reconnaître leur erreur. Quand on s’estime attaqué, injustement de surcroît, il est parfois douloureux de s’en remettre. Les mots blessent plus que l’épée. D’aucuns en ont perdu la tête. Que ce soit au propre ou au figuré, perdre la tête ôte la vie ou prive de tout jugement. En perdant la tête, on se rendra coupable de n’importe quoi.

Il semble alors intéressant de rapprocher les deux expressions. Qui perd la face se sent avili et ridicule, il peut perdre plus encore son honneur ou sa position. Réduit ou anéanti, perdre la tête reste une échappatoire. Ne vaut-il pas mieux passer pour fou si l’on doit commettre l’irréparable ?

Quitte à perdre la face, perdons la tête et on aura tout perdu, à moins d’avoir le sens de la répartie et tel un Cyrano renvoyer dans les cordes tous les persifleurs qui jalonnent notre chemin.

Nous aurons toujours en face de nous des envieux et des jaloux, pourquoi leur donner de l’importance quand on est en phase avec soi-même.