L’insoutenable identité

Auschwitz et sa sinistre devise : Le travail rend libre

L’histoire des peuples martyres doit-elle se résumer à cette simple équation ? Celle de n’exister que par l’holocauste dont il a été victime. Doit-on résumer sa propre vie à n’être qu’une tombe jamais fermée du fond de laquelle des âmes en furie continuent à demander justice ?

Que l’on soit Arménien, Cambodgien, Juif ou Rwandais, ou même descendant d’esclaves faut-il continuer à vivre dans un passé douloureux parce que, dans son présent, on reste soumis aux contestations les plus éhontées, aux manipulations les plus sournoises, aux calculs les plus effroyables, et pour couronner le tout à la négation la plus horrible, celle de s’entendre dire que cette tragédie, que ce drame, que ce génocide n’a jamais existé.

Et ce parfois avec des arguments des plus provocants pour ne pas dire blessants : « Comment peuvent-ils prétendre avoir été victimes d’un génocide puisqu’ils sont toujours là ? »

Ceux qui avancent de telles affirmations mesurent-ils la portée de leurs mots ? Sont-ils conscients du mal qu’ils provoquent ? Le font-ils sciemment ? Ou par simple ignorance, si ce n‘est de la bêtise ?

Ces agressions perpétuelles ne font que contribuer à enfermer ceux qui en sont les victimes dans ce cercle vicieux de la morbidité comme source de leur existence. Si la liberté d’expression est sacrée, et reconnue par là-même comme une liberté fondamentale, ne doit elle pas respecter la dignité de l’autre. Ce débat a déjà eu lieu à propos de caricatures qui ont exacerbé le ressentiment d’une population qui s’est sentie agressée. Il ne s’agissait que de dessins de fort mauvais goût. Et leur impact a dépassé, et de loin, les intentions de leurs auteurs. Ignorance ou calcul, on ne le saura jamais. Il est néanmoins dommage que les opinions publiques concernées (et les autres) ne s’insurgent pas autant contre des drames humains, des meurtres de masse, des attentats aveugles et des répressions sanglantes.

Y-aurait-il une gradation du tolérable ? Ce à quoi on pourrait se demander s’il existe une échelle de valeur de la souffrance. Chaque souffrance est unique, intolérable et condamnable. Le déni de quelque souffrance que ce soit est également intolérable et condamnable.

Lorsqu’on entend des historiens dire, au nom de la liberté, qu’il ne faut pas pénaliser le déni de génocide ou le déni d’esclavagisme, n’est-ce pas réserver le débat à une seule corporation. Que signifie être un historien ? Un historien est celui qui étudie, analyse et rend compte des faits au vu des documents ou des témoignages qu’il a à sa disposition. En fait, qui décide de qui est historien et de qui ne l’est pas ?

Au nom de la liberté, doit-on laisser dire ou écrire n’importe quoi, peut-on revenir sur des faits établis, répertoriés, analysés, compilés dans les archives diplomatiques ou nationales, et prétendre que ces faits-là n’ont jamais existé ?

Et enfin, peut-on reprocher à ceux qui ont survécu au drame, à l’horreur et à l’innommable crime qu’est un génocide d’être toujours vivants ?

Article paru en 2006 dans :

Le Devoir de Montréal
Emarrakech.info (site des marocains de Belgique)
Le Forum de l‘Express de Toronto

Source : Canalblog