D’un vivant par hasard *

Mai 68 ou Printemps turc, les chroniqueurs spécialistes de la Turquie vont chacun par leur interprétation. Mais que connaissent-ils de la Turquie au fond ? Beaucoup n’ont qu’une vision extérieure d’un pays complexe qui s’est reconstruit, il y a plus de 80 ans, sur les ruines d’un Empire déchu entre mensonge et hypocrisie.

Quelle est la place de la Turquie dans le monde ? Elle se voudrait européenne, mais seul le confetti stambouliote est du côté de l’Europe, le reste de son territoire est en Asie (mineure mais l’argument est majeur).

Elle se dit laïque, mais cette laïcité voulue par Atatürk a été mise à mal par l’arrivée des islamo-conservateurs au pouvoir, sans oublier  qu’elle s’affiche en leader du monde arabo-musulman.

Elle se prétend moderne, sans parvenir à se débarrasser de son carcan traditionnel, continuant à utiliser le mot « arménien » comme une insulte tout en accentuant un négationnisme d’État partout dans le monde.

Démocratique, elle s’affirme comme telle mais réprime dans le sang les minorités kurdes ou alévies qui représentent la moitié de la population, tient en otage la communauté arménienne face aux attaques de la diaspora, sans le moindre respect pour les droits de l’homme.

Oscillant entre son soutien au Hamas et sa proximité avec Israël, elle joue la politique du pendule pour s’attirer d’un côté les bonnes grâces du monde arabo-musulman tout en s’attirant la sympathie des communautés juives parfois trop empathiques avec la cause arménienne.

Mosaïque de peuples et métissage forcé (notamment avec ses millions de crypto-Arméniens) font de la Turquie un chaudron bouillonnant prêt à exploser.

Il faut que la Turquie se réveille et se débarrasse de ses illusions. Il est tant, à l’instar d’intellectuels et de démocrates turcs, que l’ensemble de la population regarde son histoire en face et accepte les erreurs de son passé. C’est parce qu’elle s’est construite sur un mensonge que la Turquie moderne souffre. Ses progrès économiques comme sa croissance sont l’héritage des spoliations des minorités chassées, déportées et exterminées ainsi que le fruit des largesses occidentales pour défendre ce point géostratégique entre le bloc communiste et l’Otan jusqu’à l’écroulement de l’URSS ou entre l’Orient et l’Occident.

Que la jeunesse turque se réconcilie avec ses propres gènes, son propre sang qui n’a rien de 100% turc, puisque mêlé à celui de l’Arménien, du Grec, du Juif, de l’Assyro-Chaldéen, de l’Arabe, entre autres.

Que le mot Arménien cesse enfin, dans l’esprit de cette jeunesse porteuse d’avenir et en rébellion, d’être l’injure suprême, le synonyme du voleur ou de l’escroc (ainsi que le préconisait en 1991 un livret à l’usage des écoliers et des étudiants).

« L’Humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d’un peuple assassiné », disait le grand Jaurès.

* en hommage à Henri Verneuil